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A la mémoire de Chérif « baby face » Hamia

Je reviens souvent sur l’extraordinaire carrière du boxeur d’origine algérienne Chérif Hamia, véritable coqueluche de la boxe parisienne dans les années 50 (poids plumes). J’ai eu la chance de bien le connaître et de nouer avec lui une belle complicité pendant quelques années. Avant son décès, en 1991, scandaleusement ignoré par la presse française et les instances fédérales.
Jamais je n’oublierai notre rencontre amicale, un soir de boxe à l’Elysée Montmartre. Nous avions été interviewés tous les deux par le même journal et on en riait. Lui l’ancienne gloire de la boxe, moi l’espoir du ring. On s’est tout de suite reconnus. Je boxais encore à l’époque et je trouvais en lui force et inspiration. Chérif m’a fait l’honneur de son amitié, de sa confiance. On se voyait très souvent.
Je veux ici dénoncer l’oubli dans lequel, étrangement, on veut le cloîtrer. Faire revivre sa mémoire pour que les plus jeunes découvrent et transmettent à leur tour l’histoire de ce boxeur de génie dont plus personne ne semble vouloir entendre parler aujourd’hui.

La naissance d’une vedette
Jeune boxeur, il impressionnait déjà par sa classe naturelle sur le ring.

Chérif Hamia est certainement, toutes catégories confondues, le champion le plus doué de l’histoire de la boxe tricolore. Après avoir remporté les prestigieux Golden Gloves le 16 juin 1953 au Chicago Stadium (USA), point d’orgue d’un impressionnant parcours en amateurs (plus de 200 combats ponctués de quelques rares défaites), il entame sa carrière professionnelle à Paris en novembre 1953 sous la houlette du carnassier Philippe Filippi.
C’est la naissance d’une vedette qui deviendra, très vite, une formidable attraction populaire qui remplissait à chacune des ses apparitions tous les hauts lieux de la boxe : Palais de la Mutualité, salle Wagram, Palais des Sports… Le public venait en masse admirer la classe du jeune prodige. Chérif émerveillait les spectateurs par sa classe naturelle, la beauté de sa gestuelle, son punch, sa vitesse et sa combativité héroïque comme une marche militaire de Schubert. Une vista hors du commun qui envoûte le Tout Paris des arts et des lettres, du cinéma et de la musique, de la politique et des affaires. Il fréquentera le gotha du show-business et attirera autour de lui une foule d’admirateurs et de courtisanes dont certaines célébrités enamourées comme Juliette Gréco.

Une tournée américaine historique

Chérif Hamia après sa victoire contre Robert Cohen en 1955.

Après avoir éliminé un à un ses rivaux, il est sacré Champion de France en novembre 1954 face à Jacques Dumesnil. Un an après ses débuts dans les rangs professionnels. En juin 1955, il conserve son titre face au redoutable cogneur algérien de Aïn-Sefra Mohamed Chikhaoui (vainqueur des meilleurs français et européens de sa catégorie). Une nouvelle étape s’ouvre alors dans la carrière de Chérif Hamia.
En décembre 1955, il bat le grand Robert Cohen, champion du monde des poids coqs, par arrêt de l’arbitre au 10ème round après l’avoir malmené pendant tout le combat et envoyé plusieurs fois au tapis. Dans la foulée, il fait match nul (contesté) à Paris avec la légende belge Jean Sneyers, l’Ange du Ring, adulé comme un dieu dans son pays.
Puis c’est la tournée américaine. Hamia enchaîne les victoires face aux meilleurs mondiaux : Carmelo Costa, Ike Chesnut, Miguel Berrios. Et devient une vedette de l’autre côte de l’Atlantique. La presse US, fascinée par son beau visage poupin, le surnomme « Baby face handsome man ». Incontestablement, le puncheur kabyle mérite une chance mondiale. Pour que nul n’en doute, en janvier 1957, au terme d’un combat épique en 15 rounds ravageurs, il devient champion d’Europe face à Jean Sneyers.

Un championnat du monde piégé par la guerre d’Algérie

Quelques mois plus tard, il dispute son championnat du monde à Paris devant le rugueux Nigerian Hogan Kid Bassey. Après deux premiers rounds au cours desquels il domine son opposant, l’envoyant même au tapis au deuxième round, il se laisse étrangement malmener pendant le reste du combat, répliquant pour éviter le pire et ne cherchant visiblement pas à reprendre le dessus. Jusqu’à ce que l’arbitre mette fin à ce simulacre de combat à la dixième reprise.
Chérif a expliqué, beaucoup plus tard, la raison de ce renoncement : en pleine guerre d’Algérie, le FLN lui avait demandé de ne pas remporter le titre mondial pour la France. Une thèse discutée, contestée par certains. Pour ma part, je pense que c’est la vérité. Cela n’exclue pas une opération de manipulation organisée par de faux membres du FLN algérien à la solde de « l’ennemi » et qui auraient, en réalité, agit pour le compte de ceux qui n’acceptaient pas qu’un « indigène » remporte un titre de champion du monde de boxe. La symbolique, alors que le peuple algérien payait le prix du sang pour sa liberté, aurait été forte. Et aurait apporté un démenti cinglant au schéma mental de la domination coloniale qui reléguait les algériens au rang de citoyens de seconde zone, d’assistés incapables de prendre leur destin en mains. C’est pour moi la thèse la plus plausible de cette étrange affaire dont les imbrications politico-sportives restent bien obscures.
Champion du monde, Hamia en avait sans aucun doute l’étoffe, la dimension et le talent. Le titre, c’est vrai, n’apparaît pas à son palmarès, mais il est gravé pour toujours dans mon coeur. Puisse son sourire à jamais éclairer notre souvenir.

Nasser NEGROUCHE

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