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Loucif Hamani : dernière esquive vers l’éternité

Un bel éclat de rire partagé entre Loucif Hamani et Julien Teissonnières à Paris en 1976.

Même la mort a souri. Lorsqu’elle a tenté de le saisir, ce mardi 9 novembre 2021, un peu après 23h, dans sa chambre de la clinique Pasteur à Vitry-sur-Seine, Loulou lui a filé entre les doigts. Pas de côté, esquive rotative et quelques pas de danse vers le ciel : la grande faucheuse n’y a vu que du feu. Éblouie par tant d’adresse, elle lui a épargné son obscur tunnel et l’a laissé s’envoler paisiblement vers la lumière. Elle lui devait bien ça…  

Direct pour l’au-delà

C’est qu’elle le traquait depuis quelques années déjà le Noureev des rings ! Plusieurs fois, sans rien dire à personne, il lui avait faussé compagnie, esquivant au dernier moment son redoutable direct pour l’au-delà. « Allez Loucif, tourne, ne reste pas en face d’elle ! Virevolte ! », lui a peut-être soufflé son défunt entraîneur et père spirituel Julien Teissonnières du haut de son coin céleste.  Alors, le champion a feinté la mort, trompé ses filets noirs et déjoué ses funestes desseins. Incrédules, les témoins de ces mystérieuses dérobades n’en revenaient pas. À tel point que le décès de Loucif Hamani a été annoncé 5 ou 6 fois depuis 2016. Mort et ressuscité une fois par an ! Dans la presse, sur les réseaux sociaux et, plus étonnant, par des soi-disant témoins qui juraient l’avoir vu sans vie en Algérie alors qu’il se trouvait bien vivant à Paris…

Pas de côté, esquive rotative et quelques pas de danse vers le ciel : la grande faucheuse n’y a vu que du feu !

Affaibli par la maladie

Loulou et la mort, c’était un combat secret. Mené en solitaire et avec un courage inouï qu’il puisait dans son mental de champion. Hier encore boxeur de classe mondiale, combattant flamboyant au physique d’Apollon, le septuagénaire était affaibli par la maladie depuis plusieurs années. Et si son corps était épuisé, son esprit, lui, était intact. Il évoquait d’ailleurs avec d’émouvants scintillements dans les yeux et un malicieux sourire d’enfant son glorieux passé pugilistique. Il se souvenait des noms de tous ses adversaires et de ceux de ses compagnons d’entraînement au Boxing Club de Choisy-le-Roi, des décisions de chacun de ses combats, des anecdotes, des fous rires mais aussi des tensions qui avaient jalonné sa carrière.

Second AVC fatal

Mais, depuis son premier AVC survenu en Algérie au début de l’année 2020, Hamani était devenu peu à peu prisonnier de son corps. Otage de sa santé déficiente. Ces dernières semaines, son état s’est encore dégradé jusqu’à ce nouvel accident vasculaire du mardi 9 novembre 2021, vers midi, qui lui sera fatal cette fois. « Il n’allait pas bien ces derniers temps… Sa santé s’était détériorée et nous étions inquiets », confie son fils Rachid Hamani, lui-même boxeur de haut-niveau. Après une longue journée d’hospitalisation, la vedette historique du BC Choisy-le-Roi, formée par Julien Teissonnières, sera terrassée par un arrêt cardiaque dans la soirée, vers 23h15. Dernier round, extinction des projecteurs.

Hier encore boxeur de classe mondiale, combattant flamboyant au physique d’Apollon, le septuagénaire était affaibli par la maladie depuis plusieurs années.

Des combats d’anthologie

A 71 ans, l’ex-champion d’Afrique des poids super-welters qui fut aussi l’un des tous meilleurs poids moyens du monde dans les années 80, longtemps classé dans le top 5 de la WBC et de la WBA, s’est donc esquivé vers l’éternité. Là même où sont gravés à jamais les combats d’anthologie qu’il a livrés dans les années 70 et 80. On retiendra notamment, parmi ses sorties mémorables, son extraordinaire prestation face au redoutable cogneur mexicain Chucho Garcia (1975), sa leçon de boxe administrée au multiple champion du monde américain Emile Griffith (1976) et aussi les récitals joués devant les dangereux frappeurs californiens Rudy Robles (1976) et David Love (1978). En 1980, après 22 mois d’inactivité et une préparation très insuffisante, il accepte de rencontrer à Portland (Maine) la star américaine Marvin Hagler (qui venait de faire match nul face au rugueux Vito Antuoformo pour le titre mondial des moyens). Un défi pour le moins téméraire… Hamani s’inclinera par K.O à la deuxième reprise. Un combat largement prématuré et qui n’aurait jamais dû se dérouler en pareilles circonstances.

Chouchou du Tout-Paris

Boxeur de génie, instinctif et félin, Loucif Hamani aura marqué les grandes soirées de boxe organisées à Paris à la même époque. Du Cirque d’Hiver au Palais des Sports, de la salle Wagram à La Mutualité en passant par Coubertin : partout il boxait à guichets fermés. Une vraie poule aux œufs d’or pour Gilbert Bénaïm et Charley Michaëlis, les deux plus gros promoteurs du moment ! Car programmer Loucif Hamani, c’était à coup sûr, faire exploser le compteur des recettes. Chouchou du Tout-Paris, il comptera parmi ses inconditionnels Alain Delon, Mireille Darc, Jean-Paul Belmondo, Annie Girardot, Johnny Hallyday, Marlène Jobert, Gérard Depardieu, Lino Ventura… Et tant d’autres grands noms du monde du cinéma, de la chanson, de la littérature et des arts…

Boxeur de génie, instinctif et félin, Loucif Hamani aura marqué les grandes soirées de boxe organisées à Paris dans les années 70 et 80.

Une expérience spirituelle indicible

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les artistes, les esthètes étaient touchés par la boxe enchanteresse du prodige kabyle. À sa manière, Loucif était lui aussi comédien, musicien, poète, peintre, metteur en scène, sculpteur… Tout cela à la fois. Il avait la grâce, la classe, cette magie indéfinissable que l’on trouve chez les génies seuls. Entre les cordes, sa gestuelle d’une pureté unique dessinait une œuvre d’art éphémère d’une valeur inestimable. Toujours présente en nous près d’un demi-siècle plus tard. Voir boxer Hamani, c’était vivre une expérience spirituelle indicible, bouleversante. Comme un chaman en transe, il ouvrait en nous des portes insoupçonnées, des horizons inespérés. L’émotion nous renversait le cœur. On sortait de là grandis, sublimés, l’âme comblée. À chacune de ses (trop rares) sorties, Loulou offrait à son public un récital pugilistique de très haute facture. Proche de la perfection. Comme un pianiste qui aurait interprété sans accroc la Polonaise Héroïque de Chopin à la salle Gaveau.

Voir boxer Hamani, c’était vivre une expérience spirituelle indicible, bouleversante. Comme un chaman en transe, il ouvrait en nous des portes insoupçonnées, des horizons inespérés. L’émotion nous renversait le cœur. On sortait de là grandis, sublimés, l’âme comblée.

Une œuvre d’art unique

C’est ainsi qu’il faut voir la carrière de ce boxeur d’exception pour en comprendre le sens et la portée :  comme une œuvre d’art patiemment modelée au fil des combats. Une sculpture de toute beauté dont les traits et les formes sont nés sur le ring à travers le génie pugilistique de son auteur. À partir de simples gestes esquissés dans le vide, précis et fugaces, purs et poétiques, il a composé pour nous une partition unique dont chaque note résonne encore dans notre âme. Hamani sur le ring, c’était comme l’apparition d’une aurore boréale verte et pourpre en Alaska ou un ballet de papillons jaunes et blancs au printemps. Un spectacle grandiose, d’une beauté incomparable. Éphémère et éternel à la fois. Fragile et invincible en même temps.

À chacune de ses sorties, Loulou offrait à son public un récital pugilistique proche de la perfection. Comme un pianiste qui aurait interprété sans accroc la Polonaise Héroïque de Chopin à la salle Gaveau.

Un réconfort pour les opprimés

Il y avait aussi, dans sa boxe, de la bonté et de la justice. Quelque chose d’indescriptible qui redonnait de la dignité et de l’espérance aux « petites gens » pour lesquelles il éprouvait une affection sincère. Comme Mohamed Ali, il était un réconfort pour les opprimés. Une fierté pour tous les Algériens qui vivaient dans cette France post-coloniale parfois hostile. À travers lui, ils se lavaient des humiliations et des discriminations subies au quotidien. Devenaient résilients et confiants dans leur propre capacité à prendre leur destin en mains. Loucif était la preuve vivante qu’ils pouvaient, eux aussi, devenir grands. Sans trahir leurs racines et en portant fièrement les couleurs de leur pays.  Et c’est peut-être là sa plus belle victoire.

Hamani sur le ring, c’était comme l’apparition d’une aurore boréale verte et pourpre en Alaska ou un ballet de papillons jaunes et blancs au printemps. 

Vraie conscience patriotique

Patriote, il comptait parmi ses premiers fans le Président de la République Houari Boumédiène qui ne ratait jamais ses combats à la salle Harcha (Alger). Il a aussi toujours refusé la naturalisation française (qui aurait pourtant été avantageuse pour ses finances et sa carrière) et préféré conserver sa nationalité algérienne. Il a d’ailleurs mené – parallèlement à la boxe une longue carrière d’agent consulaire au sein de plusieurs représentations diplomatiques algériennes en France et à l’étranger. Passionnément amoureux de l’Algérie, viscéralement attaché à sa Kabylie natale, Loucif Hamani sera inhumé mercredi 17 novembre dans son village natal d’Igoufaf (commune d’Aït Yahia) à une quarantaine de kilomètres de Tizi-Ouzou.

Nasser Negrouche

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