Acteur au talent immense, Slimane Dazi, révélé en 2009 dans Un prophète de Jacques Audiard, est aussi un amoureux du Noble Art qu’il a lui-même pratiqué dans sa jeunesse. Dans son livre, Indigène de la nation (Don Quichotte), il livre le récit bouleversant de sa vie et évoque son admiration pour Loucif Hamani. Entretien avec un comédien authentique, fidèle à ses racines, engagé et généreux.
Slimane Dazi, votre livre Indigène de la nation est un témoignage d’une rare intensité dans lequel vous vous livrez avec sincérité. Pourquoi avoir écrit ce livre ? Quel message avez-vous voulu faire passer ?
Slimane Dazi : « J’ai écrit ce livre comme un acte politique, un cri de colère contre l’injustice que je vis depuis bientôt 59 ans, depuis ma naissance. Je ne sais pas si c’est un message que j’ai voulu faire passer, quoiqu’il en soit j’ai voulu remettre la petite histoire dans la grande, celle de la première génération d’enfants d’immigrés nés en France métropolitaine avant 1962 et qui ont perdu leur droit du sol lorsque leurs parents ont opté pour la nationalité algérienne à l’indépendance de l’Algérie ».
Page 17, vous évoquez le grand champion de notre club, Loucif Hamani, vedette internationale des rings dans les années 70 et 80, que vous surnommez le Sugar Ray Leonard de Paname. Qu’est-ce qu’il représentait pour vous ?
Slimane Dazi : « Son surnom n’est pas de moi mais des pugilistes qui l’ont côtoyé. Il avait d’ailleurs un autre surnom : le chorégraphe des rings. À mes yeux, il représentait la possibilité de pouvoir réussir en France par le biais du Noble Art, ou même d’un autre sport, malgré nos origines algériennes. Dans le clivage des années 1970, Loucif Hamani représentait un symbole de réussite malgré le handicap de ses origines ».
D’où vous vient votre amour de la boxe ? Comment avez-vous découvert le Noble Art, la première fois ?
Slimane Dazi : « Il remonte à très très loin… Je crois bien que mon premier coup de cœur pour la boxe fut dans un film de Charlie Chaplin où il jouait le rôle d’un petit boxeur face à un gabarit tout en muscles beaucoup plus fort que lui. Il mettait en valeur l’art de l’esquive et du jeu de jambes. Ensuite, le combat que j’ai vu à la télévision en 1974 avec mon père : Mohammed Ali contre George Foreman à Kinshasa ».
Qu’est-ce que vous aimez dans ce sport, qu’est-ce qui vous fascine ou vous inspire ?
Slimane Dazi : « Ce que j’aime dans ce sport, pour l’avoir pratiqué en tant qu’amateur, c’est la rigueur, la simplicité, un espace où toutes les catégories sociales et ethniques se côtoient, où tout le monde est à égalité. Ce qui me fascine c’est la frontière entre la beauté et la brutalité ».
Boxeurs et joueurs de foot d’origine algérienne ou issus d’autres anciennes colonies ont-ils, selon vous, joué un rôle dans l’histoire de l’immigration ? Hamani, par exemple, était une figure fédératrice, une source de fierté pour beaucoup d’immigrés algériens et leurs enfants…
Slimane Dazi : « Oui, boxeurs et joueurs d’origine algérienne ou d’autres colonies ont non seulement joué un rôle dans l’histoire de l’immigration, mais aussi dans l’Histoire avec un grand H. L’exemple le plus frappant est pour moi l’histoire des 11 du FLN, de cette équipe de football née juste avant la Coupe du monde de 1958 et qui, grâce à ses stars comme Rachid Mekhloufi, Mustapha Zitouni et bien d’autres ont abandonné leurs biens matériels, leur statut de star dans leurs clubs (Monaco, Saint-Etienne, Bordeaux et bien d’autres) pour donner vie à l’équipe du FLN. L’idée étant de faire valoir les droits à l’Algérie libre et indépendante dans les pays qui accepteraient d’accueillir cette équipe encore clandestine. Ce pan de l’histoire n’est malheureusement pas écrit dans les livres scolaires ».
Salif Keita, ballon d’or africain en 1970, était aussi l’une de idoles… Vous avez été vous-même un excellent joueur de football et vous auriez même pu faire carrière… Pas de regrets ?
Slimane Dazi : « Je ne sais pas si j’aurais pu faire une carrière dans le football professionnel, quoiqu’il en soit le football fut, et reste, pour moi un jeu, quand bien même les enjeux sont complètement différents quand on joue à un haut niveau. Je n’ai aucun regret ».
Selon vous, est-il possible de faire un lien entre le métier d’acteur, le monde du cinéma et la boxe ? Voyez-vous des points communs entre ces deux univers qui ont toujours été attirés l’un par l’autre ?
Slimane Dazi : « Il est vrai que beaucoup d’auteurs se sont inspirés d’histoires de grands champions de boxe, le plus connu étant bien évidemment Rocky. La boxe étant un sport populaire, le point commun est cette tragédie qui se joue entre deux hommes sur un ring, les spectateurs tenus en haleine comme ceux des arènes romaines à l’époque des gladiateurs ».
Dans votre livre, vous évoquez aussi les discriminations que vous subissez en raison de votre nationalité algérienne… Ces pratiques perdurent-elles aujourd’hui, depuis la sortie de votre livre ?
Slimane Dazi : « Malheureusement oui, car j’attends toujours la réponse à ma demande de réintégration à la nationalité française… ».
Quel regard portez-vous sur ce qui se passe aujourd’hui en Algérie ?
Slimane Dazi : « Paradoxalement, c’est un regard positif car c’est pour moi un véritable message d’espoir et une leçon de démocratie pour tous les autres pays soi-disant civilisés ».
Un message pour les lecteurs de Choisy Boxe ? Notamment à tous ces anciens boxeurs de la génération Hamani qui restent nostalgiques de cette belle époque…
Slimane Dazi : « J’aimerais bien venir faire un entrainement avec vous en respectant mes 59 années de saltimbanque ! De toutes façons, si le souffle me manque, je serais ravi d’y être même en tant que spectateur. Merci Nasser de m’avoir sollicité pour cet échange ; Ramadan Karim à tous, que la paix vous accompagne ».
Propos recueillis par Nasser NEGROUCHE
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