Toute une époque revit dans les fibres légèrement usées de ce sweat blanc orné de lettres rouges qui n’ont rien perdu de leur éclat. En l’effleurant du bout des doigts, me voici comme par magie propulsé au début des année 80. Je venais d’arriver au Boxing Club de Choisy-le-Roi. Une année plus tôt, le 16 février 1980, au Cumberland County Civic Center de Portland (Maine, USA), notre grand champion Loucif Hamani, affrontait le légendaire Marvin Hagler après près de deux ans d’inactivité. Son combat précédent remontait au 5 juin 1978, au Palais des Sports de Paris, contre le dangereux californien David Love. Comme à son habitude, Loulou avait donné un récital pugilistique parfait. Comme un pianiste qui aurait interprété sans accroc Chopin ou Beethoven à la salle Gaveau. Les témoins du combat se souviennent d’un sans faute élégant et fluide, d’une boxe subtile et intelligente toute en finesse et en précision. Mais revenons à ce sweat. Il m’a été remis par Evelyne, la fille de Monsieur Teissonnières, que je remercie à nouveau de sa contribution. D’après mes informations, il a été fabriqué à l’occasion du combat contre Hagler puisque Gérard le portait ce jour-là ainsi que l’équipe de soigneurs qui le secondait dans le coin de Loucif. Il semblerait aussi qu’il existait une autre version du sweat, gravé de lettres bleues. Sasson est certainement le nom du sponsor qui a financé ce support de communication vestimentaire. Je n’ai pas retrouvé la trace de cette entreprise. La marque d’une enseigne française ? Loucif, chacun le sait, est mis KO au deuxième round par Marvin Hagler. Mais ce que l’on oublie souvent de dire, à propos de ce combat, décidé à la hâte et effectué sans la préparation adéquate, c’est l’extraordinaire manière dont notre champion préféré à géré le combat avant d’être touché. Techniquement, Loucif est parfait : la garde bien haute, mobile, actif… Il anticipe les initiatives d’Hagler, le touche au corps et à la face et le gêne avec son direct du gauche et ses déplacements impeccables, ses esquives qui le mettent « dans le vent » au moins deux fois…. Au deuxième round, le premier coup qui sonne Loulou est une droite sur le front. Puis un crochet du droit à la mâchoire suivi, quelques instants plus tard, d’un redoutable uppercut du droit au menton. Avant qu’une grêle de coups ne s’abatte sur Hamani, prisonnier des cordes, qui bascule ensuite hors du ring… Pour les connaisseurs, je rappelle que Marvin Hagler est gaucher. Ces enchaînements puissants du bras droit sont donc assez exceptionnels. Et prouvent l’incroyable force de frappe, des deux mains, de Marvellous. Un soir, après l’entraînement, dans les vestiaires, j’ai interrogé Loucif sur ce point. Il m’avait répondu que chacun des coups de son adversaire ressemblait à un lourd et violent coup de marteau. Je me souviens encore de la mimique de notre merveilleux boxeur lorsqu’il évoquait ce combat. Je reste cependant persuadé que, potentiellement, Hamani avait toutes les armes pour battre Hagler. Avec une meilleure préparation, plusieurs combats préalables, des sparrings coriaces, une bonne mise en condition psychologique et un environnement favorable, il aurait pu le battre. J’en suis sûr et certain. Aller combattre Hagler – qui venait de faire match nul pour le titre mondial contre Vito Antuoformo trois mois plus tôt (novembre 1979) – après deux ans d’inactivité était suicidaire. Mais ce combat pouvait lui ouvrir les portes du championnat du monde et il y avait de gros enjeux financiers. Alors, en son âme et conscience et avec l’accord de Monsieur Teissonnières, Loucif a relevé le défi. Vous savez tous, mes chers amis, qu’un boxeur de Choisy-le-Roi ne refuse jamais un adversaire. Mais cet héroïsme était parfois irresponsable. Même en amateurs. Beaucoup ont payé cher leur sens un peu infantile de « l’honneur »… La boxe est un sport qui exige de la rigueur, pas des réactions émotionnelles incontrôlées. Hagler, lui, ne m’a jamais fasciné. Et je n’ai jamais fait partie de ceux qui s’extasiaient devant sa boxe certes très efficace mais ô combien monocorde, ennuyeuse, mécanique et sans fantaisie. Un homme a parfaitement compris ce qu’il fallait faire pour mettre fin au long règne du champion au crâne luisant dans la catégorie des poids moyens : le grand Sugar Ray Léonard. Le 6 avril 1987 (la date est gravée à jamais dans ma mémoire) au Caesars Palace de Las Vegas, le protégé d’Angelo Dundee, qui avait fait son come-back pour défier Hagler, nous a offert un spectacle inoubliable. De la grande boxe, faite de gestes purs, d’une rare intelligence du ring et d’une vista incroyable ! C’était un combat historique, homérique, entre deux grands champions, entre deux conceptions de la boxe : la boxe en puissance contre la boxe en vitesse et précision. Bien préparé, avec un peu plus d’expérience, je pense que Loucif aurait pu réaliser le même exploit. Pour moi, il reste un bien meilleur boxeur que son vainqueur d’un soir qui détrônera le champion du monde britannique Alan Minter (contre lequel Hamani avait été volé aux JO de Munich pour des raisons politiques) quelques mois plus tard (27 septembre 1980 ) par KO à la troisième reprise à Londres (Wembley Arena). Tous ceux qui ont vu Hamani boxer en parlent, des années après, avec une belle émotion. Ils ont été touchés par la grâce de sa boxe, la pureté de sa gestuelle, la beauté de sa technique instinctive et féline. Hagler a collectionné sans poésie les titres mondiaux. C’était un destructeur. Pas un génie de la boxe. Comme Tyson. On se souvient d’une tornade qui emportait tout sur son passage. Et après ? Où est le rêve, où est la magie des accords, l’hamonie des instruments, le chant des artistes, la rythmique du jeu de jambes, la chorégraphie des corps en mouvement ? Hamani nous a régalé en instants magiques. Il nous a offert des moments de grâce, la perfection pugilistique à l’état pur, du grand spectacle. Merci à toi Loucif. Jamais je n’oublierai la beauté de ta boxe. Merci aussi de ton amitié et de ta droiture. Tu es un grand. Surdoué et humble comme tous les vrais grands créateurs. J’espère te revoir bientôt. J’aimerais que tu sois l’invité d’honneur du premier dîner de Choisy Boxe. Nasser NEGROUCHE.
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- LASBEUR dans Loucif Hamani : des bougies jusqu’au ciel !
- choisyboxe dans A la mémoire de Chérif « baby face » Hamia
- choisyboxe dans A la mémoire de Chérif « baby face » Hamia
Bonjour,
Enchanter de cette belle description de notre champion Loucif HAMANI.Il a émerveillé le monde de la boxe, sa facilité de créer les gestes parfaits, vitesse d’exécution, feintes de corps, anticipation, uppercuts corps et face a fait de lui un boxeur d’une dimension mondiale et pas seulement dans lemilieux pugilistique les stars du cinéma français, Alain Delon, Jean Paul BELMONDO, Marlène JAUBERT et bien d’autre ont admiré, encouragé, sublimé le talentueux boxeur Loucif HAMANI .
remini
Une précision au sujet du fameux sweat-shirt (que j’ai eu l’honneur de porter en mes jeunes années) : Sasson était bien le sponsor du squad Hamani ; il s’agit d’une marque « branchée » de jeans lancée par Paul Guez, un homme d’affaires franco-tunisien très en vogue à l’époque (père de l’acteur David Charvet !), qui s’était lancé à l’assaut du marché américain dans les années 70…force est de reconnaître que cela avait de l’allure !
Pour ce qui est du combat, devenu fameux par le côté spectaculaire du KO de Loucif (favorisé, semble-t-il, par la faible tension des cordes du ring), il est encore visible sur de nombreux sites de vidéo en ligne…cela fait toujours aussi mal de revoir son issue dramatique !
Merci Vincent pour cette précision très pointue et qui résout le « mystère Sasson ».
Aller vendre des jeans aux Américains dans les seventies était une démarche marketing culottée ! J’espère qu’elle a été couronnée de succès…
Il est très dommage que les gens ne retienne de la carrière d’Hamani que son KO face à Hagler. C’est la raison pour laquelle, j’ai le projet de retrouver un maximum de combat de Loucif, de les numériser et de les mettre en ligne sur le site afin que chacun puisse admirer la classe de très grande boxeur. Amitiés. Nasser
Dans mon quartier il y avait un ancien boxeur amateur de la génération de Loucif qui nous disaient toujours que si on n’avait pas vu Hamani boxer, on n’avait rien vu en boxe !
D’ailleurs lorsqu’on entend les connaisseurs parler boxe et évoquer Hamani la réaction est toujours la même, combien de fois à la TV, Bouttier et Lustik ont fait l’éloge de l’élève de Monsieur Teissonnière ?!
Je n’ai malheureusement jamais vu boxer Loucif, donc, si j’en crois mon ancien voisin je n’ai rien vu en boxe ! 🙂
J’ai quand même pu discuter de ce combat avec Monsieur Teissonnière qui avait insisté sur la mauvaise préparation et une fois de plus preuve est faite qu’en boxe on ne peux rien laisser au hasard. Le grand Cubain Téofilo Stevenson disait toujours qu’il devait en grande partie sa réussite sportive à Muhammad Ali, car il croyait que le combat se ferait et il se préparait dans cet objectif, d’où une grande facilité lorsqu’il boxait des adversaires bien inférieur au boxeur de Lousiville (Kentucky).