Le « prof », Monsieur Teissonnières, arrivait à 17h30. Toujours à l’heure. Il sifflotait au bout du couloir, près de l’entrée du Gymnase René Rousseau. C’était le signal. Les quelques apprentis boxeurs qui se trouvaient dans les vestiaires du Gymnase René Rousseau, déjà en tenue, montaient alors au second et dernier étage. Quand la porte de la salle s’ouvrait, nous entrions dans un autre monde. Voyage enivrant au pays de la vraie boxe. On commençait par s’échauffer, chacun à sa manière. Shadow boxing pour moi après quelques étirements. 3 ou 4 rounds dans le vide et la sueur coulait. L’adrénaline montait. On se sentait invincible, prêt à relever tous les défis. Les boxeurs arrivaient. Champions ou débutants, jeunes ou anciens, ils emplissaient vite la salle. Vers 18h ou 18h15, la salle tournait, soufflait, chauffait comme la salle des machines d’un navire qui aurait atteint sa vitesse de croisière. Chaque minute, une sonnerie stridente ponctuait le défilement des rounds. Unité de mesure exclusive de notre rapport au temps. Tout à coup, Gérard ou son papa, clamait : « Culture ! » (un mot dont je mesure aujourd’hui toute la dimension symbolique)). Le début d’une heure de gymnastique intensive complète, debout et au sol. Chaque partie de notre corps travaillait, aucun muscle, aucune articulation n’était épargné par l’effort. Chaque mouvement était précédé d’un intitulé technique complet scandé avec poésie par Monsieur Teissonnières. « Comme la libellule qui se pose sur le lac de Choisy » ou encore « Comme les danseuses au Châtelet » précisait-il pour décrire un mouvement circulaire ou « en ciseau » des jambes que nous devions accomplir au sol. Puis il désignait l’un ou l’autre des boxeurs expérimentés pour montrer le mouvement. A l’issue de cette longue séance de travail, les choses sérieuses pouvaient commencer : la mise de gants. Loucif Hamani monopolisait le grand ring et enchaînait les sparrings : Lasbeur, Debah, Leidoudi, Medjani ou d’autres boxeurs venus d’ailleurs… Il faisait une dizaine de rounds. Peut-être même une quinzaine. Nous étions totalement hypnotisés par sa boxe merveilleuse, un style pur, unique, enchanteur. C’était un spectacle éblouissant. On croisait les gants à tour de rôle sur l’autre ring et aussi au beau milieu de la salle les soirs de grande affluence. A l’entraînement, nos combats étaient souvent plus durs que les jours de compétition ou de gala. On ne se faisait pas de cadeau. Mais toujours avec respect et fraternité. Et même quand ça dérapait, il n’y avait jamais de haine ou de rancoeur. Après les gants, séance de travail au sac. 3 à 6 rounds. Puis encore quelques rounds de saut à la corde. Et, pour finir, mouvements de décontraction musculaire et relaxation, serviette sur la tête. On laissait notre corps reposer, achever son processus de transpiration et retrouver un rythme cardiaque apaisé. On pouvait alors aller à la douche. On se pesait en remontant à la salle. Après un entraînement comme le nôtre, il n’était pas rare que la balance affiche 1 ou même 2 kgs de moins pour certains ! Parfois, je m’attardais sur le ring, enchaînant les rounds, oubliant le temps. Je me sentais tellement bien. Monsieur Teissonnières criait alors : « Negrouche, dehors ! ». Je répliquais : « Encore un Monsieur ! ». Il répondait en souriant : « Vite, faut y aller, sinon on va rater Zorro ! ». C’était le dernier round. Et j’attendais déjà avec impatience l’entraînement du lendemain soir… Nasser NEGROUCHE
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Magie de la mémoire et des mots. Cette salle que je n’ai pas connue revit pour moi.
Merci Nasser
Claude