Choisy Boxe

Loucif Hamani for ever !

C’est dans un petit bistrot kabyle d’Ivry-sur-Seine, en cette chaude après-midi de juillet, que j’ai retrouvé Loulou. Juché sur un tabouret de bar, chemisette bleue et blanche au col largement ouvert, chaîne en or et lunettes autour du cou, il était en train de disputer une partie de domino lorsque j’ai poussé la porte du troquet…

L’oeil vif, un sourire malicieux sur les lèvres, son visage s’illumine lorsqu’il me voit. Ma joie est encore plus intense. Comme à chaque rencontre, nous tombons sans protocole dans les bras l’un de l’autre sous les regards ahuris de l’entourage. On se dévisage comme deux rescapés improbables d’une apocalypse païenne. Quel bonheur de revoir, cinq années après notre dernière rencontre à Fontenay-sous-Bois, Loucif Hamani ! Uppercut émotionnel garanti. Qu’importent le temps qui passe, l’âge, les pépins de santé, les coups durs de la vie : rien ne gâche notre plaisir. Seul l’instant présent compte. On se retrouve et on oublie tout le reste. La rumeur du bistrot, la partie de domino, la chaleur suffocante, les soucis du quotidien… : plus rien n’existe. Nous voici tous deux projetés dans le passé, au Boxing Club de Choisy-le-Roi dans les années 80.

Voyage dans le passé

Des visages et des voix surgissent du néant. On entend Julien Teissonnières, notre regretté entraîneur, sermonner Loucif qui affiche encore 2 kgs de trop à trois jours de son combat. « Si tu n’es pas au poids demain, j’annule tout ! ». Gérard, le défunt fils de Julien, qui chante Le mambo du décalco de Gotainer pendant la séance collective de culture physique. Le martèlement continu du sac de sable, le claquement sec de la corde à sauter sur le sol et le choc des gants de cuir sur les pattes d’ours se confondent avec les respirations haletantes des combattants et la sonnerie stridente de la minuterie qui retentit toutes les trois minutes. Soudain, c’est soir d’entraînement dans les eighties.
On évoque nos frères de combat trop tôt disparus : Guitry Bananier, Abdel Laidoudi et tant d’autres hélas… Loucif n’a rien oublié. Ni personne. Sa mémoire est intacte. En souriant, il se souvient de certains anciens boxeurs du club : Lakhal Djellal, Khaled Lasbeur, les frères Debah, Bruno Mini, Madjid Izouaouène, Salah Ouhab, Djamel Rémini, Madani Medjani, Daniel Masson … « Sachez bien que je me souviens de chacun d’entre vous, même si je ne cite pas tout le monde. Je vous remercie de m’avoir toujours soutenu lorsque je boxais et je vous passe à tous un très grand bonjour ! », déclare Loucif avec une sincérité non feinte.
Il se souvient aussi de chacun de ses combats et égrène sans aucune erreur la liste de ses adversaires. Le plus dur ? Rudy Roblès en 1976 à Paris. L’Américain avait affronté, quelques mois plus tôt, le légendaire colombien Rodrigo Valdès pour le titre mondial WBC des poids moyens. Marvin Hagler ? Il avait des poings d’acier. Lucide, vif, Loulou se souvient de tout. Impressionnant pour celui dont la presse algérienne avait imprudemment annoncé la mort le 26 juin dernier. Lorsque je l’interroge sur ce sujet, il ne cache pas sa sidération. « C’est inexplicable ! J’ai reçu des appels téléphoniques toute la nuit, jusqu’à 6 heures du matin… Mes proches aussi ont été submergés d’appels. C’est de la folie cette histoire. Le pire, c’est que certaines personnes ont vraiment pensé que j’étais décédé et ont été plongées dans la tristesse, les pleurs… Je ne sais pas qui est derrière tout ça, mais cette fausse information a provoqué inutilement de l’inquiétude et de la souffrance ».

L’humilité des vrais grands

Malgré les démentis immédiats de ses proches et notre prompte dénonciation de cette sinistre rumeur ici même, la fake news apparaît toujours sur plusieurs sites et pages Facebook algériens. Un vrai délire collectif. Et surtout une absence totale de respect pour Loucif Hamani et sa famille. Mais Loulou ne s’attarde pas sur cette triste énigme. Il préfère poursuivre notre voyage dans le temps. Notre regretté entraîneur, Julien Teissonnières, occupe une place particulière dans son coeur. « Il était comme un père pour moi. Je n’oublierai jamais tout ce qu’il a fait pour moi, surtout à mes débuts… Je lui dois tant… ».
Plongés dans nos souvenirs communs, on aurait presqu’envie de renfiler les gants pour retrouver ces indicibles sensations que seul le ring sait procurer à ses vrais adeptes. Je lui rappelle ce jour où, lors d’une séance d’entraînement à Cheraga, près d’Alger, il m’avait plié en deux de l’un de ses uppercuts tranchants au foie. Sans le vouloir, sans aucune méchanceté. Car Hamani n’a jamais cherché à faire mal à ses sparring-partners. Il savait faire baisser la pression lorsque celui qui lui donnait la réplique était en difficulté. Jamais il n’appuyait vraiment ses coups à la salle. Sinon, aucun d’entre nous n’aurait tenu plus de deux rounds. Loucif a un coeur d’or. Simple, accesssible, généreux, il a l’humilité des vrais grands.
Un soir de combat, en décembre 1980 à Paris, il accomplit même un geste jamais vu sur un ring de boxe. Opposé à O’Dell Leonard, Loucif domine largement le combat et administre une magistrale leçon de boxe à l’Américain. Alors que ce dernier s’effondre sous ses coups, au 7ème ou 8ème round de mémoire, Loucif passe derrière lui et le relève en le saisissant sous les bras avant qu’il ne touche le sol. « C’est vrai, je m’en souviens très bien ! « , sourit-il lorsque je lui rappelle cette scène. Son regard s’allume et il me confie penser souvent à ces belles années boxe avec un brin de nostalgie. Moi aussi. Aujourd’hui, les combats de boxe diffusés à la télévision le laissent indifférents. Aucun boxeur ne le fait vibrer. « Le niveau n’est plus le même. Il n’y a plus de grand champion capable de remplir les salles. On ne voit plus de belle boxe… », regrette-t-il. Comment ne pas lui donner raison ? Surtout lorsqu’on a eu l’immense privilège de le voir boxer… Loucif, c’était la boxe dans toute sa pureté. La perfection pugilistique à l’état brut. Inimitable et jamais égalée à ce jour. Hamani for ever !

Nasser NEGROUCHE

7 comments

  • Excellente nouvelle !
    La prochaine fois que tu rends visite à Loucif préviens moi, c’est avec un grand plaisir que je viendrai le saluer !

    • Bonjour Moss,
      Merci ! Cela s’est fait à la dernière minute…
      Bon dimanche,
      Nasser

  • Bonjour a tous, Génial ! Nasser,un grand moment de notre vie qui resurgit a travers tes écrits tu nous transmet plein de bon souvenirs !quel plaisir de voir Loucif en bonne forme le sourire au lèvres une présence imposante.
    Remini

  • formidable moment que tu nous fait passer , la lecture de cette rencontre est un moment très agréable bonjour à monsieur Hamani l’humilité l’accompagne .,merci nasser pour ce bout de vie

    • Merci Youssef ! Hamani garde un excellent souvenir de toi et de tes frères ! 😉

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