Choisy Boxe

Boxing palace

Copyright Jean-Claude Déloménie.

Au début des années 80, Loucif Hamani s’entraîne en public dans un grand hôtel parisien. Une technique de promotion fréquente à l’époque pour faire mousser la soirée de boxe quelques jours avant le premier coup de gong.

Superbe photo argentique signée de mon ami Jean-Claude Déloménie, talentueux photographe que l’on croisait souvent lors des grandes soirées de boxe des années 80. Ce cliché a été pris entre 1981 et 1983, à Paris, lors d’une séance d’entraînement en public dans un grand hôtel de la capitale. Échauffement, shadow-boxing, leçon et parfois quelques rounds de gants sans appuyer.

A quelques jours de l’événement, il ne fallait prendre aucun risque. Une mauvaise blessure et c’était le forfait assuré. L’annulation du combat et la perte de la bourse. Sans indemnités. Il fallait donc être très prudent. Il s’agissait d’ailleurs plus d’une opération de communication que d’une véritable séance d’entraînement. Un show qui faisait partie du contrat. Alors, dans l’ambiance douce et feutrée d’un luxueux Pullman ou d’un confortable Novotel, sur fond de lounge music, entre petits fours et jeunes hôtesses distinguées, les boxeurs transpiraient sur le ring dressé au beau milieu du lobby. Deux univers, opposés les uns aux autres, se mêlaient dans une douce euphorie devant les clients médusés.

Le syndrome de la serviette

Ce jour-là, Loucif Hamani croisait les gants avec l’un de ses sparring-partners maison (Khaled Lasbeur, Abdel Ali Debah, Abdel Laïdoudi…) ou venu spécialement d’un autre club pour lui donner la réplique (Sylvain Watbled, Dominique Delorme, Georges Warusfel…). Sur la photo, on sent une tension entre Julien Teissonnières et Hamani. A la fin de la reprise, de retour dans son coin, Loucif fixe avec inquiétude son manager qui triture nerveusement la serviette. Tous ceux qui l’ont eu dans leur coin savent que c’est un mauvais signe. Visiblement contrarié par la prestation de son poulain, l’entraîneur mythique du Boxing-Club de Choisy-le-Roi fait la tête. Quelque chose a dû l’agacer dans l’attitude de Loucif. Un coup qu’il n’aurait pas dû prendre ou encore un manque de mobilité qui s’explique peut-être par les derniers kilos superflus à perdre avant la pesée qui aura lieu dans trois jours.

Mais cette photo illustre aussi toute la confiance que se vouaient l’un à l’autre les deux hommes. Loucif, qui a perdu son père lorsqu’il était très jeune, considérait Julien Teissonnières comme un père de substitution. Et il l’aimait d’un amour filial, comme un fils aime son père. Il me l’a dit plusieurs fois. Et jamais je n’oublierai les chaudes larmes qu’il a versées le jour de l’enterrement de notre défunt entraîneur au cimetière d’Orly, en 1998, me rappelant tout le bien que Julien Teissonnières lui avait fait durant toute sa vie.

Une aubaine pour les fans

Ces séances d’entraînement publiques se déroulaient le plus souvent dans l’après-midi mais aussi parfois le midi ou en début de soirée. C’était fréquent à l’époque. A la demande des organisateurs, pour assurer la promotion de l’événement et obtenir une meilleure couverture médiatique, on érigeait un ring dans le hall d’accueil de l’établissement. Une installation qui surprenait parfois la clientèle internationale de ces palaces parisiens transformés en salle de boxe. Mais c’était une vraie aubaine pour les fans et les journalistes. Les premiers se pressaient pour voir leurs boxeurs préférés en activité, demander un autographe ou une photo dédicacée. Les seconds venaient pour rencontrer les champions et leurs managers, organiser une interview ou une séance photo.

Une foule interlope

On y rencontrait aussi cette faune interlope qui gravitait depuis toujours autour des rings : candidats à la célébrité, anciens espoirs éphémères du cinéma, promoteurs louches, vieux boxeurs déprimés, mannequins ratés, affairistes de tous poils, faux journalistes, élégantes et voyous… Il y avait tant de tentations dans ces prestigieux hôtels parisiens. Alors, pour une fois qu’ils pouvaient y entrer sans éveiller les soupçons, ils en profitaient. L’espace de quelques rounds, dans ce cadre luxueux, endimanchés et parfumés, ils se sentaient reconnus. Importants et respectés. Parfois, une ou deux vraies vedettes passaient voir les champions – star du grand écran, chanteur à succès ou grand patron médiatique – et semaient alors le trouble parmi ces opportuns. Ils voulaient tous se faire remarquer, décrocher un rôle de figurant, signer un contrat quelconque ou même trouver un pigeon parmi la clientèle d’affaires de ces beaux établissements. Pour déguster, eux aussi, une tranche de bonheur. Goûter un petit quart d’heure de gloire. N’était-ce pas dans ce genre de lieux que l’on pouvait rencontrer les puissants ? Ceux qui étaient capables de changer votre vie d’un coup de téléphone ou d’une simple signature en bas de page. Ils pouvaient bien rêver les parias des palaces. Comme les boxeurs exhibés sur le ring. Rêver, c’est d’ailleurs tout ce qui leur restait.

Nasser Negrouche

4 comments

  • des formidables moments pour la boxe,la présentation du noble art, une exposition enrichissante pour les participants.

    • Merci Youssef. Quelle époque ! Avec le recul, je me dis que c’était quand même dingue tout ça… Bonne journée ! Nasser

  • Bonsoir a tous, je les vois sur la photo comme si ils étaient tous pré de moi assistant une nouvelle fois lors d’un entraînement cotidien au Boxingclub de Choisy. Effectivement le photographe est d’une précision admirable une image qui transmet un moment lointain en un moments actuel comme si notre professeur était encore parmi nous ! Et Loucif avec sa présence qui caractérise l’exception la sérénité . Excellent Nasser un travail formidable des détails des surprises une description précise de l’environnement autour du monde de la boxe Merci pour tout ce que tu transmets humainement !

    • Merci beaucoup Djamel pour cet émouvant commentaire. On ressent les mêmes émotions. Merci aussi pour tes encouragements qui me donnent la force de continuer ce travail de mémoire. Bonne journée ! Nasser

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