Choisy Boxe

Idir « Chérif » Negrouche : un poids plume qui pesait lourd !

Ancienne vedette du ring dans les années 50/60, Idir « Chérif » Negrouche s’est éteint le 27 janvier dernier à l’âge de 87 ans. Battant au style spectaculaire, il était l’un des tous derniers survivants de l’âge d’or du Boxing Club de Choisy-le-Roi.

Le protégé de Julien Teissonnières, vainqueur des prestigieuses Ceintures du Comité d’Île-de-France (CIF) en 1959, dans la catégorie des poids plumes, était une attraction appréciée des habitués du Central Sporting Club et de l’exigeant public de l’Elysée Montmartre. Les plus anciens se souviennent d’un battant organisé, courageux, avec un coeur énorme et qui savait casser la distance pour travailler en séries au corps et à la face. Sa spécialité ? Un enchaînement uppercut au foie et crochet gauche au menton qui a fait des ravages sur les rings de France et de Navarre… Cette combinaison lui a d’ailleurs permis d’abréger la plupart des quelque 100 combats qu’il a disputés au cours d’une longue carrière dans les rangs amateurs.
« C’était un boxeur d’une vaillance exceptionnelle et qui donnait tout sur le ring ! », m’avait un jour confié le grand entraîneur parisien Bernard Dambrosio, préparateur notamment des anciens champions du monde Christophe Tiozzo, Jean-Baptiste Mendy ou encore Anaclet Wamba. Bernard avait vu mon père boxer dans les années 50 et il en gardait, une trentaine d’années plus tard, un souvenir toujours aussi impressionnant…

Inspiré par Marcel Cerdan

Originaire d’un petit village de Grande Kabylie situé à une quarantaine de kilomètres de Tizi-Ouzou, entre Mekla et Michelet (Aïn El Hammam), Idir « Chérif » Negrouche est arrivé en France métropolitaine en 1951 à l’âge de 15 ans. Trois ans auparavant, alors aide agricole dans une ferme exploitée par des colons espagnols racistes et violents près d’Alger, l’adolescent avait été fasciné par la figure charismatique de Marcel Cerdan sacré champion du monde des poids moyens face à Tony Zale le 21 septembre 1948. L’événement avait eu un retentissement considérable en Algérie où Cerdan était déjà une vedette (depuis le milieu des années 30 et ses multiples affrontements contre un autre enfant du pays, Omar Kouidri). Le bombardier marocain restera d’ailleurs jusqu’à ses derniers jours son boxeur préféré.

Dans le Paris de l’après-guerre

Après un long voyage en bateau jusqu’à Marseille, le natif de Taindlest rejoint la capitale en train et découvre le Paris de l’après-guerre, alors en pleine reconstruction. C’est l’année de la mort de Pétain et celle du premier numéro des Cahiers du Cinéma. André Breton et Albert Camus se chamaillent à propos de la supposée « banalité » de Lautréamont tandis qu’ Edith Piaf interprète La P’tite Lili sur la scène de l’A.B.C. C’est dans cette France qui panse encore ses plaies mais qui veut aussi se donner du bon temps que débarque le jeune Kabyle de 15 ans, bien décidé à prendre son destin en main. Pour rejoindre sa terre promise, il a même menti sur son âge… « Je voulais partir coûte que coûte et j’étais prêt à tout pour atteindre mon objectif », nous confiait-il encore récemment.

Le goût de la liberté

Accueilli dans un premier temps par des anciens de son village qui se partageaient une chambre d’hôtel misérable dans la banlieue sud de Paris, il volera très vite de ses propres ailes. Grâce à son abnégation, son audace et son courage à toute épreuve. Animé par une volonté farouche de tourner le dos aux années noires de son enfance, marquées par la privation, la faim, l’extrême pauvreté et la maltraitance coloniale, il investit toute son énergie dans le travail et la boxe. Partageant sa vie entre l’usine et le ring, Chérif savoure, pour la première fois de sa vie, le goût de la liberté.
A Paris, malgré les tensions liées à la situation en Algérie, il découvre une population plutôt accueillante, tolérante et parfois même fraternelle. Rien à voir avec le racisme bestial de la ferme Garcia et consorts… C’est une autre France qui lui tend les bras, généreuse et humaine. Une France qu’il ne connaissait pas. Un pays où tout était encore possible.

Chouchou du Central

C’est à l’Amicale sportive d’Air-France (ASAF) qu’il fera ses premiers pas sur un ring. Fondée en 1947 à Orly par Julien Teissonnières, un ancien boxeur professionnel salarié de la compagnie aérienne, la section boxe de l’ASAF compte parmi ses licenciés d’excellents boxeurs dès le milieu des années 50 : Friant, Chambéry, Lechevallier, Cadiat… Poids plume numéro 1 de la team Teissonnières, Idir « Chérif » Negrouche affronte les meilleurs boxeurs amateurs français de sa catégorie. Sans jamais tricher ou refuser un combat. Il a aussi disputé des combats internationaux, notamment contre un champion d’Europe originaire de Pologne face auquel il s’inclinera après lui avoir donné beaucoup de fil à retordre… Au Central, le temple de la boxe amateur parisienne, il remporte la quasi-totalité des compétitions fédérales : Critérium des Espoirs, Aiglons, Coupe de l’Equipe, Ceintures du CIF, championnat de Paris… Il faut se souvenir que, pour décrocher l’un de ces trophées ô combien convoités, les boxeurs devaient alors disputer en moyenne 7 combats, parfois même plus. Surtout dans les poids plumes où l’on recensait plusieurs dizaines de boxeurs engagés dans la même catégorie… Les compétitions démarraient souvent en 32ème ou 64ème de finale. Il fallait accomplir un long chemin pour parvenir jusqu’en finale…

Sous les bravos de Line Renaud

Les connaisseurs du 57, rue du Faubourg Saint-Denis s’attachent vite à ce jeune boxeur silencieux qui préfère parler avec ses poings et dont il se dégage une sorte de force magnétique. Au fil de ses apparitions sur le ring du Central, « Néné », comme l’avait surnommé Julien Teissonnières, forge sa légende. Le public parisien ne s’y trompe pas et le soutient avec ferveur. Le Choisyen ne trichait pas, ne refusait jamais l’opposition et c’est cette boxe fondée sur l’engagement physique, la confrontation directe qui lui valu sa popularité.
Un jour, c’est une certaine Line Renaud, jeune meneuse de revue vedette au Casino de Paris, qui vient le féliciter dans les vestiaires après un combat remporté avec panache. Le poids plume de Choisy croisera aussi la route d’Edith Piaf, de Gabin, de Ventura, de Belmondo et de son éternel comparse Maurice Auzel, ex-champion de France professionnel des poids welters, ancien sociétaire de l’Avia Club devenu acteur de cinéma.

Sparring de Zarzi

Parmi ses camarades du ring, citons aussi – parmi tant d’autres – les regrettés Akli Belkacem, François Pavilla, Ahcène Attar, Lahouari Godih, Yoland Lévêque, Jean Josselin, Alphonse Halimi, Hocine Khalfi, le prodige Chérif Hamia, Fabio Bettini, Omar Zenasni et plus tard le merveilleux Loucif Hamani – formé comme lui par Julien Teissonnières au BC Choisy-le-Roi – qui confiait à mon père son portefeuille et sa chevalière en or quand il boxait … Il les savait ainsi en sécurité.
Dur au mal, résistant et frappeur, le poids plume de Choisy-le-Roi a aussi été un sparring-partner de choix pour plusieurs boxeurs professionnels qui appréciaient sa combativité. Il a ainsi préparé le redoutable Mohamed Zarzi pour son championnat de France contre l’excellent Eugène Le Cozanet, le 11 avril 1959 à Brest. Zarzi remportera la ceinture tricolore par K.O à la 9ème reprise.

La fierté des Choisyens

A Choisy-le-Roi, tout le monde est fier de ce champion qui incarne avec autant de bravoure les couleurs de la ville. Les citoyens, les élus, les commerçants, les personnalités locales le reconnaissent, le félicitent et se laissent séduire par sa joie de vivre, son humour et son humilité. Lorsqu’il est à l’affiche d’un gala organisé au cinéma Le Royal – transformé le temps d’une soirée en arène du Noble Art – on boxe à guichets fermés ! Le public sait qu’il en aura pour son argent…
Toute sa vie, il restera fidèle à Choisy-le-Roi, la ville de sa vie. C’est là, dans ses rues, qu’il a appris le bonheur de vivre, tracé son parcours sportif mais aussi écrit son histoire sociale. Celle d’un ouvrier boxeur, qui a longtemps cumulé travail en usine et pratique de la boxe. Deux activités difficiles menées en parallèle dans des conditions souvent précaires. La plus longue partie de sa carrière professionnelle, c’est d’ailleurs aux Usines Renault de Choisy qu’il la passera en qualité d’ouvrier spécialisé.
Après une carrière bien remplie en amateurs, il raccroche définitivement les gants au début des années 60. Et renoncera donc avec sagesse à la boxe professionnelle, préférant se consacrer pleinement à sa vie familiale et ses projets personnels après l’indépendance de l’Algérie. Mais, pour tous, il restera « Negrouche, le boxeur de Choisy ».

Nasser Negrouche

16 comments

  • Rip da chérif, carrière très riche pour une époque très difficile.
    Un plaisir ce témoignage.
    Toutes mes condoléances à toute la famille, son fils NACER
    Grâce à toi j’ai eu le plus beau souvenir de mon oncle ATHMANE NL qui boxait avec lui a l’époque.
    Qu’ils reposent en paix

  • Allah y Rahmo. Toutes les condoléances à toute la famille de Idir Cherif Negrouche et ses proches de Choisy Le Roi . C’est un très bel hommage rendu a ton papa cher Nasser et je comprends mieux ta passion pour la boxe , avec cet heritage. A la lecture de ce texte , j’avais sous les yeux comme un film en noir et blanc avec les combats de boxe de Belmondo , de Marcel Cerdan amoureux de la Môme Piaf et puis la vie ouvrière des années 50 et 60 dans l’usine Renault de Boulogne Billancourt, j’avais aussi des images qui venaient du film Hors la Loi de Rachida Bouchareb avecRochdy Zem Djamel Debbouze et Sami Bouajila évoquant les enjeux du soutien à la lutte d’indépendance contre l’oppression coloniale française en Algérie et en France .

  • Bonjour à tous, énorme ! Une vie pleine bien remplie de ses multiples fonctions ouvrier à l’usine Renault boxeur de haut niveau homme déterminé à suivre sa destinée dans une époque difficile où la guerre d’Algérie marque en profondeur une génération d’hommes et de femmes venus en France pour une vie meilleure.

  • Toujours un mot gentil,tres apprecié de ses collegues de travail
    Renault Choisy a eu deux grands boxeur (Idir et Bagdadi)
    Qu il repose en paix

  • Toutes mes condoléances à la famille j’ai eu l’honneur de le rencontrer plusieurs fois a Choisy où il me raconter les plus belles années passées avec mon papa partie trop tôt. Adieu champion !

  • Quel bel hommage à ton père… Les images défilent, vibrantes. Il devait être si fier de toi. Pour ceux comme moi qui ignoraient le parcours d’Idir Negrouche, ce texte contribue à honorer et perpétuer sa mémoire.

  • Allahi rahm 3ami Idir, un personnage qui avait du caractère, en lisant son histoire qui pourrait être celle de nombreux coreligionnaires de son époque on comprend que ces hommes ont eu une vie extrêmement difficile dès leur plus jeune âge, ils n’ont pas eu d’enfance et ce sont construit à la force de leur poings, raison pour laquelle à cette époque les maghrébins étaient nombreux à l’affiche des galas et compétitions de boxe de l’hexagone.
    Je garde un excellent souvenir de 3ami Idir, mes sincères condoléances à toute la famille Négrouche

error: Ce contenu est protégé !